"Les magistrats ne croient plus en la prison, il faut la réinventer", plaide Béatrice Brugère

La mère d'Elias, ce jeune mineur de 14 ans mortellement poignardé en janvier dans le XIVe arrondissement de Paris, a dit réclamer mardi sur RMC-BFMTV "réponses et explications" de la part de la justice. "Soit on nous cache quelque chose comme une erreur judiciaire, ou alors la justice est injuste avec les victimes et les victimes n'existent pas aux yeux de la justice", a-t-elle lancé face à Apolline de Malherbe.
"Je pense qu’elle a raison d’insister sur le fait que le traitement réservé aux victimes n’est pas à la hauteur", réagit ce mercredi sur RMC la magistrate Béatrice Brugère.
"On enseigne aux magistrats que le mineur délinquant doit être réhabilité. La victime est déjà exclue du processus, car tout est centré sur le délinquant", reconnaît la secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats FO au micro des Grandes Gueules, qui pointe une des "idéologies" trop prégnantes au sein de sa profession.
Des peines ultra courtes "pour stopper le parcours de délinquance"
La justice des mineurs fait débat alors que les drames se multiplient, le dernier en date étant celui à Nogent, où une surveillante de collège a elle aussi été tuée à coups de couteau. Pour Béatrice Brugère, des peines ultra courtes devraient être appliquées. "Il ne faut pas laisser les mineurs longtemps en prison, mais il faut pouvoir sanctionner vite, pour stopper un parcours de délinquance", développe-t-elle. Elles doivent être pensées dans un modèle carcéral à réinventer."
Même les magistrats ne croient plus en la prison. Il faut reconstruire, refonder. La faute est aussi celle d’une société qui n’a pas su investir intelligemment dans l’univers carcéral. Les prisons n’ont pas été rénovées, on manque de place, notamment pour la justice des mineurs", explique sur RMC Béatrice Brugère
40% des mineurs violents sont victimes aussi de violences
La magistrate plaide pour l'instauration d'États généraux sur la justice des mineurs, alors que "40% des mineurs violents sont aussi victimes de violences". "Certains faits sont très graves : atteinte à l’intégrité physique. On ne parle pas d’un simple vol, mais de l’apprentissage du respect du corps de l’autre. Si un mineur n’apprend pas ça, c’est terminé pour la société."
Au-delà des mineurs, c'est la justice tout court qui est généralement pointée du doigt par les responsables politique, du bloc central jusqu'à l'extrême droite. En cause: des peines jugées trop laxistes. Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a réagi la semaine dernière, après les premières condamnations (des personnes majeures) en lien avec les célébrations de la victoire du PSG en Ligue des Champions.
"C'est la loi qui oblige à aménager les peines"
"Le 'laxisme', ce n’est pas un choix personnel, c’est la loi qui oblige à aménager les peines", rappelle la magistrate. "Il y a des injonctions contradictoires : on nous demande d’être sévères, mais sans incarcérer" tandis que "les politiques critiquent et imposent des lois mais souvent l'inverse de ce qu'ils disent."
Le garde des Sceaux a ainsi proposé de "faire évoluer radicalement la loi" en supprimant notamment les aménagements de peine obligatoires et le sursis, ce qui lui a valu des tirs nourris de la gauche. "Aujourd’hui, vous pouvez cumuler plusieurs sursis sans qu’ils se recoupent, ce n’est pas lisible, ni efficace", reconnaît Béatrice Brugère. "Avant 1994 et Badinter, toutes les infractions avaient un seuil minimum et maximum", rappelle-t-elle.
Charte de déontologie
Enfin, en ce qui concerne le "diagnostic" des magistrats, le syndicat Unité Magistrats FO a "proposé la création d’un code de déontologie et d’examiner tous les processus. L’erreur peut être humaine, mais il faut un cadre", explique sa secrétaire générale. "Le ministère n’a pas voulu aller sur cette voie, mais nous avons réussi à obtenir l’adoption d’une charte de déontologie, en espérant qu’elle fasse avancer le questionnement."