Nouveau Front Populaire: le récit de quatre jours de négociations qui ont abouti à l'union de la gauche

Quatre jours de négociations pour accoucher d'un accord programmatique scellant l'union de la gauche pour les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Une dissolution de l'Assemblée nationale que personne ou presque n'avait anticipée, prenant de court toutes les formations politiques.
Le score aux élections européennes du Rassemblement national dépasse les 30%, la gauche, divisée pendant la campagne contrairement aux législatives de 2022 avec la Nupes, est sonnée. Dimanche soir, 22h, François Ruffin est le premier à sonner la cloche du rassemblement. Sur X, c'est lui qui dès le début propose le nom de ce qui deviendra la bannière commune de la gauche, le Front Populaire.
Référence historique, évidemment, à celui de 1936 porté par Léon Blum et qui a permis de grandes conquêtes sociales comme l'augmentation des salaires, la semaine de 40h et les deux premières semaines de congés payés.
"Nous appelons Olivier Faure, Fabien Roussel, Marine Tondelier, Manuel Bompard à la porter, ensemble. Insoumis, communistes, socialistes, écologistes. Unis. Pour éviter le pire, pour gagner", écrit sur X François Ruffin.
Campagne express
Mais l'union semble plus que difficile. La Nupes avait déjà éclaté en 2023, après plusieurs passes d'armes notamment entre les Insoumis et communistes. Puis le conflit israélo-palestinien et la guerre à Gaza depuis les attaques du Hamas le 7 octobre avait définitivement parachevé le divorce.
L'extrême droite, galvanisée par son score, ambitionne déjà d'envoyer Jordan Bardella à Matignon. Face à l'urgence, les partis de gauche décident de tenter le tout pour tout et entament des négociations. Les candidatures devront être déposées entre le mercredi 12 juin et le dimanche 16 juin à 18H00, selon le décret publié lundi au Journal officiel. La campagne électorale pour le premier tour débutera le lundi 17 juin.
L'appel de François Ruffin est donc entendu. Dans la matinale de France Inter, lundi matin, François Ruffin et Olivier Faure se rejoignent sur l'idée d'une union. Au centre des tensions, cependant, la personnalité et les propos de Jean-Luc Mélenchon, sur qui le Premier secrétaire du PS a prévenu qu'il ne s'alignerait pas comme en 2022, affirmant qu'"il faut faire du neuf".
Pas de Nupes 2.0
Alors que LFI avait réussi à prendre le leadership sur la Nupes en 2022, fort des 22% des voix de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, c'est cette fois-ci la liste PS/Place Publique avec la tête de liste Raphaël Glucksmann qui est arrivé en tête de la gauche aux européennes. 13,8% pour eux, 9,9% pour LFI, 5,5% pour EELV (qui chute de 10 points en 5 ans et 2,4% pour le PCF (qui n'envoie aucun élu au Parlement européen).
Une première réunion est organisée lundi dans la matinée entre François Ruffin, Fabien Roussel, Marine Tondelier et Olivier Faure. L'objectif est "d'arriver à l'unité". Une réunion des chefs est ensuite organisée au siège des écologistes à 16h. Finalement, les socialistes arrivent plus de 3h après, après avoir posé leurs conditions au préalable.
"Laurent Berger, Glucksmann sort ça tout seul [...] Ce n'est pas sérieux"
François Ruffin continue de militer pour son Front Populaire et lance même le site Front-populaire-2024 qui vise à récolter des signataires. Le député insoumis assume de vouloir "prendre le capitanat", selon son entourage cité par Libération.
Raphaël Glucksmann tente, de son côté, au 20h de France 2, de poser ses conditions, tout en ne fermant pas la porte aux négociations. Et propose même le nom de Laurent Berger, l'ancien patron de la CFDT, pour mener la coalition et accéder à Matignon. Ce qui agace certains Insoumis. "Glucksmann sort ça tout seul à 20h alors que ça n'a été évoqué par personne aujourd'hui. C'est pas sérieux", peste l'un deux auprès de RMC.
"Sans accord de tous, on est morts"
En 2022, pour la Nupes, la discussion avait consisté à amender le programme de Jean-Luc Mélenchon. Cette fois-ci, lundi, les négociateurs sont partis d'une feuille blanche, avec un Google doc. "Chacun a fait en sorte de ne pas mettre de sel sur les plaies", explique un participant. Exemple, les écologistes ne sont pas arrivé autour de la table en exigeant la sortie du nucléaire dès le premier jour en cas de victoire.
Un insoumis confie : "Sans accord de tous on est morts. On sera 15 députés LFI et 20 députés des autres partis. On a pas le choix". En tout cas, la bannière Front Populaire semble tenir la corde, il n'y aura pas de Nupes 2.0.
Pizzas au menu
Les négociations durent au siège des écologistes. A 21h37, des pizzas arrivent, comme le constate notre reporter du service politique de RMC, Cyprien Pézeril.
Lundi soir, place de la République à Paris, une deuxième manifestation consécutive est organisée contre l'extrême droite. Un cortège s'élance ensuite direction le siège des écologistes où les tractations ont encore lieu, à 22h passées. Les manifestants scandent "Ne nous décevez pas", "Ne nous trahissez pas".
Accord de principe pour... continuer de négocier
Quelques minutes après, (première) fumée blanche. Les quatre partis PS-PC-LFI-EELV annoncent un accord de principe pour la "constitution d'un nouveau Front populaire" dans le cadre duquel ils souhaitent "soutenir des candidatures uniques dès le premier tour" des prochaines élections législatives.
Mais l'annonce au mégaphone des quatre leaders n'est pas du goût d'Aurore Lalucq, porte-parole de Raphaël Glucksmann pendant la campagne, prévient de suite que ce n'est pas un "accord" mais une "ouverture d'une discussion qui a permis de poser nos conditions". En effet, concrètement, c'est un accord de principe pour continuer de négocier sur une volonté commune de s'unir.
Raphaël Glucksmann tente de maintenir sa ligne
Mardi matin, Raphaël Glucksmann tente de continuer de préserver sa ligne : "L’union ne peut pas se faire au prix du renoncement aux principes et nous avons posé des points clairs", prévient-il. Certains commentateurs de la vie politique et une partie de son électorat craignent qu'après l'accord de principe annoncé la veille au soir, LFI ne reprenne la main comme en 2022 et que le courant social-démocrate porté par le député européen s'envole en fumée.
Les négociations reprennent, cette fois pour délimiter le nombre de circonscriptions et le programme. Les négociations rentrent véritablement dans le dur. Mais les tractations seront légèrement éclipsées médiatiquement par le bouleversement qui s'annonce à droite avec l'annonce au JT de 13h de TF1 d'Eric CIotti de vouloir se rallier avec le RN.
Les négociations sur le projet portent sur un "contrat de législature et non un programme présidentiel". Elles débutent par les points les plus clivants : les questions internationales. Sur l'Ukraine, LFI lâche du lest et des avancées sont réalisées sur "la défense indéfectible du peuple ukrainien", "l'idée de livraisons d'armes" et "la question de la saisie des avoirs russes".
Le cas Adrien Quatennens divise
Côté circonscriptions, le ton était monté dès lundi soir à ce sujet entre Paul Vannier (LFI) et Pierre Jouvet (PS). Les socialistes demandent "un rééquilibrage et non juste un réajustement" du nombre de circonscriptions. En 2022 ils en avaient obtenu 70. Les insoumis acceptent de prendre en considération les résultats du PS aux européennes, mais veulent que le score de Mélenchon 2022 soit aussi considéré.
Ils veulent reconduire tous les sortants. Les autres négociants acceptent le principe mais veulent des exceptions type Adrien Quatennens, condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violences conjugales (dont la candidature et une potentielle investiture Nouveau Front Populaire n'est pas encore connue à ce jour bien que sa circonscription dans le Nord est dévolue à LFI).
"Pas d'évidence" sur un futur Premier ministre
Sur la question "faut-il un candidat désigné pour Matignon", elle n'est pas abordée formellement mais seulement dans des apartés. "Il n'y a pas d'évidence" sur l'idée même, et encore moins sur le nom. Les socialistes n'avaient pas été prévenu la veille de la proposition de Raphaël Glucksmann pour Laurent Berger. Le nom de François Ruffin revient aussi. Jean-Luc Mélenchon reste pour l'heure en retrait.
Le Parti socialiste et LFI animent les négociations. Le PCF et les Ecologistes sont plus en retrait et semblent vouloir accepter tout, quoi qu'il en soit. Dans le même temps se tient ce soir un Conseil national du Parti socialiste, à 19h30. Et là, les divisions internes sont assez fortes.
Les réunions durent pendant d'inombrables d'heures, mais ce soir-là interrompues par par l'annonce de la disparition de Françoise Hardy. Certains se mettent même à chantonner... Une manière aussi de faire redescendre la pression.
229 circonscriptions pour LFI, 175 pour le PS
Mercredi, nouvelle journée de négociations en vue, cette fois au siège du PCF. Mais encore une fois, l'attention médiatique se portera sur la situation devenue tragi-comique chez les LR, avec un patron de parti Eric Ciotti qui ferme à clé le siège Place Bourbon tandis que le bureau l'exclut dans l'après-midi avant de réinvestir les lieux en fin de journée. Pis encore, Marion Maréchal trahit Eric Zemmour dans le même temps.
En fin de matinée, Emmanuel Macron s'efforce dans une conférence de presse de renvoyer dos à dos ce qu'il appele l'extrême gauche et l'extrême droite. Il donne alors le chiffre de 300 circonscriptions pour LFI, une information erronée. Survient alors une (deuxième) fumée blanche puisque RMC dévoile le partage qui prévoit 175 circonscriptions pour le PS, 229 pour LFI, 92 pour EELV et 50 pour le PCF.

"Ce n’est pas les pro Hamas d’un côté et les anti Hamas"
Reste à finaliser le programme. Sur Gaza, faut-il parler de genocide ? À ce stade les négociateurs semblent s’être mis d’accord de se ranger derrière ce que dit la CIJ, à savoir « risque de genocide ». « Effectivement il y a un débat sur la qualification du Hamas effectivement. C’est un débat entre les insoumis et les autres. Mais ce n’est pas les pro Hamas d’un côté et les anti Hamas. L’accord ne va pas capoter sur ça. Ca va atterrir sur quelque chose", confie à RMC un négociateur socialiste.
Sur l’antisémitisme ? Alors que Jean-Luc Mélenchon parlait il y a encore dix jours "d'antisemitisme residuel", pour l'heure le projet d'accord prévoit, dans un chapitre dédié, de reconnaître une montée de l'antisémitisme, de devoir protéger les lieux de culte et culturels, de promouvoir la formation contre l'antisémitisme. Mais ce n'est pour le moment pas suffisant pour Place publique.
Jean-Luc Mélenchon sort du bois
Le soir, au JT de 20h de France 2, Jean-Luc Mélenchon prend la parole. Le leader Insoumis prône l'unité et salue les négociations en cours. S'il s'estime "capable" d'être Premier ministre, il ne "s'impose pas" et ne s'"élimine pas". Il déclare que la proposition d'Olivier Faure, à savoir que ce sera le groupe majoritaire qui proposera un nom, sans imposer, est la meilleure.
Une sortie médiatique qui n'a pas semble-t-elle pas froissée les négociations puisque le lendemain matin, Fabien Roussel, qui estime pouvoir lui aussi aller à Matignon, n'exclut pas formellement le leader Insoumis des candidats éligibles mais explique qu'il faudra le profil le plus rassembleur. Une position partagée par Olivier Faure.
Le calendrier s'accèlère et le secrétaire national du PCF déclare sur RTL vouloir que les négociations aboutissent d'ici la fin d'après-midi, ce jeudi. Sur Cnews, Manuel Bompard met un coup de pression: "Sur certains aspects j'aimerais que ça avance plus vite. Notamment sur la répartition des circonscriptions. La France insoumise a fait un pas conséquent. Il faut que les autres fassent leur part du chemin aussi", déclare le coordinateur de LFI.
Des tensions dans les ultimes heures
François Ruffin se lance aussi pour candidater officieusement à Matignon. Il déclare sur France Bleu Picardie se sentir "capable". Dont acte. Mais les négociations patinent et Fabien Roussel déclare sur TF1 à 13h être revenu en urgence à Paris. "On veut les meilleurs d'entre nous". Effectivement, les points de crispations semblent s'accorder sur l'attribution des circonscriptions. Les négociations sont mêmes temporairement suspendues dans la matinée avant de reprendre dans le courant de l'après-midi.
Alors qu'une conférence de presse est prévue en fin d'après-midi - une salle avait même été réservée - chaque camp veut finalement en obtenir plus dans la dernière ligne droite. Deux heures de confusions s'ensuivent.
Finalement, la fumée blanche (définitive) intervient vers 20h jeudi soir, lorsque les quatre partis dégainent en même temps l'annonce d'un accord pour la constitution d'un Nouveau Front Populaire. Celui-ci prévoit un programme de "rupture" avec des mesures fortes pour les 100 premiers jours.
François Hollande, lui aussi, favorable à l'union de la gauche
A 20h, au JT de TF1, François Hollande fait une intervention. Va-t-il, à l'instar d'autres éléphants socialistes comme Stéphane Le Foll, son ancien ministre, et Carole Delga, se déclarer favorable à l'union de la gauche? L'ancien président tranche et dit oui. "Mon affaire, c'est que l'extrême droite ne vienne pas gouverner", déclare-t-il. "Il y a un moment où il faut aller au-delà de nos divergences."
Ce vendredi matin, c'est au tour de Raphaël Glucksmann, qui faisait silence radio depuis mardi, de se déclarer lui aussi favorable à l'union de la gauche, "seule manière de bloquer le RN", selon lui. "C'est notre responsabilité historique", plaide-t-il. Le député européenn rejette toutefois l'hypothèse de Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre.
"Changer la vie"
A la clé, Smic à 1600 € net, abrogation de la réforme des retraites et de l'assurance-chômage et retour de l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans, indexation des salaires sur l'inflation, 6e République... Les quatre partis dégainent finalement leur programme lors d'une conférence de presse à la Maison de la Chimie en fin de matinée ."Nous allons gouverner pour changer la vie, changer la vie vraiment", promet Marine Tondelier.
Un projet porté par des partis politiques mais aussi par des "associations, syndicats et membres de la société civile", en témoigne la présence de de Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace. "C'est un soutien mais pas un chèque en blanc", a-t-il d'ailleurs mis en garde. "On veut un futur désirable et on prendra notre part dans les mobilisations à venir."
J'espère que l'on ne fera pas l'erreur d'être centré sur nous et nos petites batailles"
Désormais tous s'attendent à une campagne dure. "On a pris du temps sur le programme pour nous permettre la clarté", espère un cadre, qui reconnait que les difficultés seront au sein même de ce Nouveau Front Populaire " J'espère que l'on ne fera pas l'erreur d'être centré sur nous et nos petites batailles", fait-il savoir. Chacun a fait savoir qu'aucun nom de futur Premier ministre ne devrait être dévoilé pendant la campagne.