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L’épisiotomie était basée sur des croyances du 18e siècle, mais les pratiques ont changé

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Lundi, la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa s’est appuyée sur le chiffre de 75% d’épisiotomie chez les femmes qui accouchent pour dénoncer les violences obstétricales. Pour le professeur Didier Riethmuller, gynécologue-obstétricien au CHRU de Besançon qui affiche un taux de moins de 1%, il s'agit d'une méconnaissance de la réalité d’un métier qui a su évoluer depuis plusieurs années.

Didier Riethmuller, gynécologue-obstétricien, est le chef du pôle Mère-Femme au CHRU de Besançon. Dans son service, le taux d’épisiotomie est de moins de 1%.

"Les chiffres de la ministre sont totalement faux*. On a des enquêtes nationales périnatales gérées par l’Inserm. Actuellement, il y a du bashing pour un certain nombre de professions, et en ce qui concerne les gynécologues-obstétriciens, ça commence à bien faire. La profession fait beaucoup, se remet en question en permanence. Pour que les mauvaises pratiques professionnelles deviennent portion congrue.

"On pensait que ça évitait le problème de l’incontinence anale"

Aujourd’hui, on est autour d’une femme sur quatre qui a une épisiotomie. En 1998, on était à plus de 70% des primipares, c’était énorme. C’était une démarche louable, pour rendre service aux femmes, parce qu’on pensait que ça évitait le problème de l’incontinence anale. L’épisiotomie était basée sur des croyances qui dataient de la fin du 18e siècle. Et il a fallu enfin l’avènement de la médecine factuelle, qui remonte au début des années 1990, pour démontrer que l’épisiotomie n’avait pas d’intérêt pour protéger des lésions du sphincter au cours d’un accouchement.

Ce qui est le plus difficile à changer dans l’humain, ce sont les habitudes et les croyances. Cela fait 20 ans qu’on a mis en place une approche qui est le respect du périnée. Cela a été long et difficile de convaincre tous les acteurs, il a fallu faire preuve de beaucoup de conviction, être beaucoup présent en salle de travail. Aujourd’hui, dans mon service, on a une adhésion des équipes qui fait que - sans avoir augmenté les lésions sphinctériennes - on a réussi à diminuer le taux d’épisiotomie à moins de 1%. Ce n’est pas 0%: il y a des situations où ça rend service à l’enfant en devenir et à la mère.

"Si on avait plaisir à martyriser une femme, on serait en prison"

Il y a toujours des gens qui ne suivent pas les règles. Mais ce n’est pas pour faire du tort aux femmes. Ou pour avoir le plaisir de martyriser une femme, on serait en prison sinon. En 10 ou 12 ans, les pratiques ont complètement changé. Ça prouve bien qu’il y a une réelle prise de conscience des professionnels et que le message est passé.

D’ailleurs, quand on regarde les chiffres à l’échelle européenne, on est quand même plutôt dans les pays leaders, hormis les pays scandinaves. Et eux ont des taux de lésions sphinctériennes qui sont à mon avis prohibitifs. Il faut trouver le juste milieu. C’est bien de ne pas faire d’épisiotomie mais il faut aussi savoir gérer parfaitement le périnée. Si vous ne le contrôlez pas, c’est bien là que vous vous exposez à des lésions. On est dans une approche de savoir-faire, et l’école obstétricale française a encore ce savoir-faire que beaucoup d’autres n’ont plus.

J’ai consacré toute ma carrière professionnelle à l’amélioration des pratiques pour le bien des femmes et de leurs futurs enfants. Certaines choses sont donc un petit peu difficiles à entendre. Bien entendu, certains vont plus vite que d’autres. Certains services sont à moins de 10% d’épisiotomie, et chez d’autres ça prendra un peu plus de temps. Mais le tournant est amorcé. Et on va aller vers une diminution drastique de ce taux. Le pays va arriver sous peu à moins de 10% d’épisiotomie".

* Chiffres de l'Inserm contre chiffres des associations

Les chiffres de l'épisiotomie sont mesurés régulièrement lors des Enquêtes Nationales Périnatales (ENP) menées par l'Inserm. La dernière étude publiée date de 2010. Elle met en lumière des taux de 44,4% d'épisiotomie chez les primipares et de 14,3% chez les multipares. Une nouvelle ENP a été lancée en 2016, mais ses résultats ne son pas encore publics. Lors de l'étude précédente, qui remonte à 1998, ces taux étaient de 71,3% chez les primipares et de 36,2% chez les multipares.

Pourquoi une telle différence avec le chiffre de 75%? Parce que la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes s'est appuyée sur une étude de l'association "Maman Travail" (fondée par Marlène Schiappa). Dans un communiqué de presse, celle-ci rappelle qu'elle avait d'ailleurs "pris soin de préciser que ces chiffres devaient être vérifiés". "Les disparités de ressentis sont réelles entre les femmes et les obstétriciens, qui consacrent leur vie à la santé des femmes, explique-t-elle. Il n’appartient pas au gouvernement de dire quelle est la réalité des chiffres, mais d’apporter une réponse aux femmes qui font part de leurs souffrance. La considération qui est évidemment due aux professionnels de santé, en première ligne, ne doit pas entraver la nécessité de lever des sujets tabous comme les violences obstétricales".

Propos recueillis par Antoine Maes