"Faire de la prévention": Strasbourg veut expérimenter le cannabis récréatif selon le nouveau modèle allemand

Après Malte en 2021 et le Luxembourg l'an dernier, l'Allemagne est devenu en ce 1er avril le plus grand pays de l'Union européenne à légaliser l'usage récréatif du cannabis.
Depuis ce lundi, il est désormais possible pour les Allemands majeurs d'acheter du cannabis, jusqu'à 50 grammes par mois pour les plus de 21 ans (30g pour les 18/21 ans), par le biais d'associations à but non-lucratif.
"Une victoire pour ceux qui fument"
A Offenburg, à quelques kilomètres de Strasbourg, de l’autre côté du Rhin, cette décision est une bonne chose pour Thilo, défenseur de longue date de la légalisation.
"C’est une victoire pour tous les gens qui fument qui étaient criminalisés", s'exclame Thilo, habitant d'Offenburg.
Dans une ancienne caserne militaire, cet habitant a créé le premier club de cannabis de la région: dès juillet, il pourra cultiver en grande quantité et permettre à ses adhérents de se procurer du cannabis. En une semaine, il comptabilise déjà 50 inscrits: "Ça m'a étonné parce que c’est allé si vite! Beaucoup de gens ne veulent pas être illégaux. Ils sont contents d’avoir la possibilité d’acheter du cannabis de bonne qualité pour un prix moins élevé que sur le marché noir et je suis persuadé que le trafic va diminuer".
Un argument qui convainc Stefan et Martina, dans le centre d’Offenburg: "Il faut essayer!" dit-il. "L’alcool est plus un problème pour les gens que les drogues. Beaucoup de gens boivent chaque jour un verre et c’est normal pour eux mais ce n’est pas normal! Il faut trouver un juste milieu", ajoute-t-elle. Mais la légalisation du cannabis divise, près de la moitié des Allemands y seraient opposés: "C'est dangereux pour la santé", s’insurge Mickael, un riverain. Quand un autre craint que la consommation augmente, surtout chez les jeunes.
Certaines règles s'appliquent pour la consommation dans la rue: il est interdit de fumer dans les zones piétonnes entre 7h et 20h, interdit aussi à moins de 100 mètres d’une école ou d’un jardin d’enfants. Dans les grandes villes, énormément d’espaces publics sont interdits. La police dit déjà que les contrôles vont être très complexes voire impossibles.
Une expérimentation locale à Strasbourg souhaitée
Cette nouvelle loi ne s’applique qu’aux résidents Allemands: un joint dans la rue reste interdit aux Français qui passeraient la frontière. Face à cette évolution de la loi outre-Rhin, la maire écologiste de Strasbourg s'est dite ce weekend favorable à une expérimentation locale de la légalisation, sur le modèle allemand. "Il me semblerait intéressant d'ouvrir une expérimentation à une échelle locale transfrontalière, qui permettrait de tester à Strasbourg ce qui va être mis en œuvre côté allemand", soutient la maire. Même si ce n'est pas de son ressort de prendre une telle décision.
"Qu'un pays européen comme l'Allemagne, attaché à l'ordre public et à la santé publique, décide de faire évoluer sa législation montre bien qu'une politique purement répressive ne lui a pas semblé satisfaisante ni efficace", justifie Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg.
Strasbourg n'a alors pas d'autres choix que de devenir une ville pionnière, estime Alexandre Feltz, médecin addictologue et adjoint en charge de la santé à la mairie de Strasbourg: "On est un territoire transfrontalier et on va avoir sur ce bassin de vie, deux réglementations les plus opposées en Europe. On s'interroge sur comment gérer cela. La prohibition ne fonctionne pas, la répression la plus dure sur le cannabis est en France et c'est là où on en consomme le plus".
"On demande à l'Etat d'expérimenter de nouvelles modes qui ne soient pas une légalisation sans encadrement. On veut faire de la prévention, de l'information, de la réduction des risques. Aujourd'hui, on est au début de la réflexion, nous ne cachons pas la réalité. Cette réalité, elle va s'installer demain près de chez nous", affirme-t-il.
Le Président de l'association Addictions France, qui accompagne 85.000 personnes par an dans leurs addictions aux drogues, estime aussi que cette légalisation à usage récréatif très encadrée pourrait servir de modèle à la France: "L'Allemagne nous montre qu'on peut suivre une autre politique, c'est un bon repère". C'est un pays comparable au nôtre qui "affronte les mêmes problèmes en termes de consommation", même si la France est le pays d'Europe qui détient le record de consommation de stupéfiants: 45% des 15-64 ans ont déjà̀ fumé un joint, contre 27% dans l'ensemble de l'Union européenne, selon le rapport du CESE.
Bernard Basset poursuit: "Ça fait 50 ans qu'on a déclaré une guerre à la drogue, et depuis 50 ans on court après les narcotrafiquants". Alors pour lui, le premier effet en France doit être "de provoquer un débat: quelle est la bonne politique à mener par rapport à la consommation de cannabis?" Débattre d'un sujet qui n'est "pas simple" mais "démocratique et nécessaire". L'association Addictions France en fait l'appel dans ses vœux.