"La vie n'a pas de valeur pour eux": qui sont ces ados tueurs utilisés par les trafiquants de drogue

C'est un phénomène qui prend de l'ampleur. A Marseille, un adolescent de 14 ans a été recruté sur les réseaux sociaux pour tuer et est soupçonné d'avoir froidement abattu un chauffeur VTC, qui n'avait rien à voir le trafic de drogue. Avant lui, toujours dans la cité phocéenne, c'est un adolescent de 15 ans recruté pour une action violente qui a été poignardé puis brûlé vif.
Ces profils de mineurs tueurs recrutés sur les réseaux sociaux, "il y en a de plus en plus", témoigne ce lundi sur le plateau des Grandes Gueules Jean-Michel Décugis, grand reporter police-justice au Parisien et co-auteur de "Tueurs à gages, enquête sur le nouveau phénomène des shooters". Ces tueurs ont entre 15 et 20 ans, "rarement plus de 25 ans" et sont "des petites mains du trafic, complètement déstructurées, happées par l'appât du gain et qui ont parfois même des casiers judiciaires vides".
Obéissant à des barons de la drogue à l'étranger et parfois en prison, ils sont envoyés pour tuer des gens qu'ils ne connaissent pas. "De leurs commanditaires, ils ne connaissent que les surnoms. Ils sont recrutés sur les réseaux sociaux ou le dark net. Ils habitent en Île-de-France et peuvent aller tuer à Marseille, ce qu'on appelle les 'jobeurs tueurs'" pour quelques milliers d'euros.
Jean-Michel Décugis explique que toute la chaîne du narcobanditisme s'est rajeunie avec des guetteurs de 12 ans, des vendeurs de 13 ans et des tueurs de 14 ans. Pour ces derniers, le taux d'interpellation est élevé: "Ils recommencent quand ils ne se font pas interpeller parce qu'ils sont très inexpérimentés, très amateurs. Le vivier est infini et des gamins complètement déstructurés dans les quartiers, il y en a beaucoup, avec l'économie parallèle des quartiers qui propose à ces gamins de travailler", explique sur RMC et RMC Story le journaliste.
"On est proche des cartels d'Amérique du sud"
Ces enfants ont souvent un point commun, l'absence du père, parti ou mort. Autre profil, des jeunes qui sont déjà des fils de trafiquants comme le jeune de 14 ans soupçonné d'avoir tué un chauffeur VTC et dont le père est en prison.
"Ils n'ont plus de repères, plus de codes. La vie n'a pas de valeur pour eux. Ils sont dans une vie parallèle à notre société", raconte Jean-Michel Décugis
Pour endiguer le phénomène, il estime qu'il faut que la police infiltre les boucles Telegram et les réseaux sociaux où les recrutements se font. "Il faut que la police soit plus sur ces réseaux sociaux et ces boucles afin de faire de l'infiltration, pour être en amont des ces règlements de comptes. Il faut aussi faire de la prévention et prendre ne charge ces gamins quand ils montrent ces signes de défaillance". Car contre des enfants de moins de 13 ans, "la loi ne peut rien faire". "Il faut de vraies prises en charge", poursuit Jean-Michel Décugis.
Ces petites mains sont souvent durement testées par les trafiquants, le journaliste évoquant un dealer mettant des coups de couteau à de jeunes recrues ou les brûlant pour tester leur résistance à la douleur. Certains se font même rouler dessus à scooter. Résultat, des "charbonneurs", des vendeurs de drogue, se livrent parfois eux-mêmes à la police pour éviter d'être torturés.
"C'est l'ultraviolence, on est proche des cartels d'Amérique du Sud".
La prison inefficace?
Autre problème plus général, la prison. "La prison ne stoppe plus les têtes de réseaux qui continuent leur business et commanditent les meurtres: 85% des meurtres à Marseille en 2023 ont été commandités depuis la prison", explique le journaliste. Une fouille la semaine dernière au sein de la prison de Luynes a permis aux autorités de mettre la main sur des téléphones cryptés et de la drogue.
Contre ces commanditaires, le changement de prison et la mise à l'isolement peut permettre de stopper certains agissements. Mais les téléphones en prison permettent aussi d'acheter la paix sociale et sont souvent une mine de renseignements pour les autorités.