Meurtre de Philippine: pourquoi les OQTF sont-elles si difficiles à exécuter?

Le meurtre de Philippine, étudiante âgée de 19 ans dont le corps a été retrouvé samedi au bois de Boulogne, a relancé le débat sur l’exécution des OQTF (les obligations de quitter le territoire français) et sur les défaillances potentielles du système.
L’OQTF est une mesure administrative, décision du préfet qui impose à un étranger en situation irrégulière de quitter le sol national, par ses propres moyens. La décision résulte d’un refus de titre de séjour ou d’un refus d’accorder l’asile pour la moitié des cas. De l’action des services de police pour l’autre moitié.
6,8% d'OQTF exécutées sur 134.280 en 2022 en France
En 2022, 134.280 OQTF ont été prononcées pour 6,8% d'exécutions seulement. Selon la Cour des Comptes, moins de 1,5 % des personnes quittent d’elle-même le territoire. Que se passe-t-il si l’individu ne l'a pas quitté justement ?
L'individu doit être suivi. On parle de profils difficiles à identifier, qui n’ont pas toujours d’adresse fiable. Ensuite, cette personne peut être placée en centre de rétention ou assignée à résidence. Ce sont alors les autorités qui organisent le départ.
Le "laisser-passer consulaire" obligatoire
C’est là que ça se complique : avec une autre notion qui est déjà dans le débat public. Le "laisser-passer consulaire". La France doit obtenir ce laisser-passer du pays d’origine de l’expulsé et dépend donc beaucoup de sa bonne volonté. Algérie, Maroc, Tunisie. Les relations diplomatiques entre Paris et les pays du Maghreb sont parfois compliquées. En 2021, la France avait demandé près de 5.500 "laisser-passer". La moitié seulement ont été délivrés.
C’est précisément le laisser-passer consulaire du Maroc qui a fait défaut ici, qui est arrivé trop tard. Le tueur présumé de Philippine était déjà dans la nature.
Beaucoup de libérations
C’est un autre sujet problématique et polémique dans l’affaire. En France métropolitaine, près de la moitié des individus placés en rétention ont été libérés mais la loi oblige le juge à libérer l’individu - à défaut d’identifier ou de constater des risques graves et imminents - dans les quinze derniers jours de rétention
D’après Eurostat, l’agence des statistiques européennes, la France est le pays qui procède au plus grand nombre d’éloignements forcés. A peu près au même niveau qu’en Allemagne mais près de trois fois plus qu’au Royaume-Uni.
La France connaît une inflation d’OQTF, volonté politique, "communication administrative", dit même la Cour des Comptes. Entre 2018 et 2023, elles ont augmenté de 60 % alors que les effectifs préfectoraux concernés n’ont grimpé que de 9 %. Toujours selon la Cour des Comptes, "La plupart des préfectures sont surchargées, commettent régulièrement des erreurs de droit".
Des préfectures surchargées, des erreurs plus nombreuses
Elles assurent mal la défense de leur décision lorsqu’elle est contestée. Les juridictions elle-même sont débordées. Le mieux est l’ennemi du bien. Des OQTF se trouvent annulées, suspendues, c’est du temps perdu, avec un caractère dissuasif amoindri.
Quelles solutions pour donner du sens à ces OQTF, et retrouver de l’efficacité ? D’abord, en lien avec le meurtre de Philippine, la rétention peut être prolongée. Elle est limitée à 90 jours en France. L’Europe permet dix-huit mois.
La Cour des Comptes considère de son côté qu'il faut cesser de considérer qu'il s'agit seulement d'un sujet dédié au ministère de l’Intérieur. La question des "laisser-passer consulaires" rappelle que c’est aussi une question diplomatique. Une meilleure coordination interministérielle est possible. Il s’agirait aussi de mieux prioriser les urgences, la mesure OQTF ne permet pas de distinguer les cas prioritaires, les cas dangereux.
"Arrêté d'expulsion", l'autre mesure pouvant être appliquée
Enfin il existe aussi "l’arrêté d’expulsion" : c'est une autre mesure, le ministre de l’intérieur comme le préfet peuvent décider d’expulser un étranger qui présente une menace grave pour l’ordre public. Il faut juste le démontrer.