Procès d’Eric Dupond-Moretti: ce qu’il faut retenir des deux semaines d’audiences

Le procès d’Eric Dupond-Moretti touche à sa fin. La parole sera à la défense, ce jeudi. La veille, l'accusation a requis que le garde des Sceaux soit condamné à un an de prison avec sursis. Les deux représentants du parquet ont demandé aux parlementaires et aux magistrats qui jugent Eric Dupond-Moretti de le déclarer coupable de prise illégale d'intérêt. C’est-à-dire coupable d’avoir profité de ses fonctions de ministre pour régler des comptes avec des magistrats qu’il avait affrontés lorsqu’il était avocat. Rémy Heitz, le procureur général près de la Cour de cassation, qui est le plus haut magistrat de France, a confié que jamais il n’aurait imaginé devoir requérir contre un ministre de la Justice. Il a ajouté que c'était un exercice difficile, qu’il n’en tirait aucune satisfaction. Mais au bout du réquisitoire, il n’a pas tremblé en réclamant un an de prison avec sursis contre le garde des Sceaux.
Depuis plus d’une semaine, les audiences ont parfois été électriques. Eric Dupond-Moretti a fait du Eric Dupond-Moretti. Parfois très calme et poli, parfois comme un animal en cage, et toujours imprévisible. Il a lancé à l’avocat général: "Ça vous arracherait la bouche de m’appeler monsieur le ministre?". Histoire de lui rappeler qu’il était certes l’accusé mais aussi son patron… Des témoins ont aussi été un peu remués. A un magistrat, il a demandé qu’il arrête de faire son numéro. A une magistrate qui précisait n’avoir pas l’habitude de mentir, il a lâché: "Et moi, je ne suis pas plus menteur que vous".
La configuration des lieux faisait qu’Éric Dupond-Moretti se trouvait derrière les témoins lorsqu’ils étaient à la barre. Et c’est dans leur dos qu’ils pouvaient entendre le garde des Sceaux grogner, marmonner, faire du bruit, remuer sa chaise. Veille technique de déstabilisation qu’Éric Dupond-Moretti a utilisé efficacement pendant 35 ans devant toutes les cours d’assises de France.
Un problème de fond
Sur le fond, deux versions s’opposent. Celle de l’accusation qui reproche au ministre d’avoir lancé des enquêtes sur des magistrats avec qui il avait eu de sérieux différends et qu’il avait par exemple traité de barbouzards. Et puis la version du ministre qui affirme que ces enquêtes ont été lancées par son administration ou par la précédente garde des Sceaux et qu’il n’a pas réglé de compte personnel.
Mais ce que le débats ont montré, c’est qu’il y avait un problème de fond à nommer ministre de la Justice, un avocat vedette, impliqué dans de très nombreux dossiers sensibles. Lui-même a parlé de ses 300 clients. Les conflits d'intérêts étaient écrits d’avance. Sans même parler des conflits personnels qu’il pouvait avoir avec de nombreux magistrats. Et le procès a montré que ces conflits d'intérêt n’ont pas été traités sérieusement, surtout au début. Eric Dupond-Moretti a été nommé ministre de la Justice le 6 juillet 2020 et le lendemain, les deux principaux syndicats de magistrats ont lancé l’alerte. Mais on ne les pas écoutés.
Normalement, le garde des Sceaux aurait dû très vite demander à ne pas être informé des dossiers concernant ses clients. Cela a été fait, mais seulement au bout de plusieurs mois. Et normalement, il aurait fallu dès sa nomination prendre un décret de déport pour que le ministre n’ait pas à traiter des affaires où il risquait d'être juge et partie. Ce décret a été pris, c’est le Premier ministre Jean Castex qui a pris en main ces dossiers sensibles, mais il a été pris trop tard. Les enquêtes qui font débat avaient déjà été lancées.