Procès en appel du féminicide de Julie Douib: "Ça aurait pu être moi", dit l’ex-compagne de l’accusé

Saveria C. a décidé de venir témoigner devant la cour d'assises d'appel d'Ajaccio, ce mardi. L’an dernier, elle avait écrit une lettre à la cour d’assises de Bastia, expliquant qu’elle n’avait pas la force de venir au procès de son ex-compagnon Bruno Garcia parce qu’elle était terrorisée. Ce dernier est aujourd'hui jugé en appel pour l'assassinat de sa compagne, Julie Douib, en 2019.
"Excusez-moi, dit Saveria C., d’une voix éraillée. Ça va être très très difficile." Elle a été en couple avec Bruno Garcia pendant sept ans de 1998 à 2006: "À la suite de notre séparation, il m’a fait subir un harcèlement et des violences permanentes qui m’ont poussée à quitter l'Île rousse. C’était le but à l’époque, il ne fallait pas que je reste habiter dans la même ville que lui."

Quand Saveria rencontre Bruno, elle est étudiante et lui serveur. Ils passent leurs week-ends et leurs vacances ensemble. "Notre relation s’est dégradée au fur et à mesure des années. Avec le recul, je pourrais la qualifier de relation toxique, [avec un rapport] dominé dominant. Je n’arrivais pas à le quitter tout en sachant que je ne devais pas rester."
"Il m'a fait vivre l'enfer"
Saveria évoque un système de "punitions". Elle ajoute: "J’ai honte d’avouer ça parce que c’était immature, j’acceptais systématiquement qu’il me punisse." Bruno Garcia décidait pour elle, lui interdisait certains déplacements, certains vêtements. Parfois il l’ignorait pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines.
Ils décident de se séparer d’un commun accord et ne se fréquentent plus pendant deux mois. Sauf que Bruno Garcia a un grave accident de moto qui le laisse handicapé, alors Saveria l’accompagne pendant une partie de sa convalescence avant de partir.
"À partir de là, il m’a fait vivre l’enfer. Les premiers mois, il y avait beaucoup d’insultes par téléphone, il était là partout où j’allais. Si j’entrais dans un bar, il fallait me faire partir. J’ai eu la malchance de louer un appartement qui donnait sur le garage de ses amis. Il était là en permanence. J’avais toujours peur qu’il me coince."
Après des violences, sa plainte classée sans suite
Un jour, elle provoque une discussion en face-à-face dans la rue. "Je n’ai pas eu le temps de parler, il m’a saisie par les épaules et m’a tapé la tête contre le mur. Je ne sais pas combien de temps [cela a duré], ce sont les gens dans la rue qui l’ont arrêté." Avec un certificat médical de trois jours d’ITT, Saveria dépose plainte à la gendarmerie. Sa plainte sera classée sans suite.
Un jour, Saveria retrouve sa voiture en flamme. "Le feu est parti du siège passager avant, m’ont dit les pompiers", explique-t-elle. L’enquête n’a pas permis d’identifier le pyromane ni le suspect, qui a crevé ses pneus quelques mois plus tard. Saveria est convaincue qu’il s’agit de Bruno Garcia.

Tout au long de son interrogatoire, l'accusé serre la mâchoire, il trépigne dans son box. Le dernier épisode qu’elle relate glace le sang. En 2010, elle est enceinte de cinq mois quand Bruno Garcia la prend en chasse en voiture. "Je l’ai vu dans le rétroviseur faire demi-tour, alors j’ai continué à avancer. Il est arrivé à me rejoindre à vive allure et, dans un virage, il a braqué fort", raconte-t-elle.
"Même en prison, Bruno Garcia reste dangereux"
"J’étais convaincue qu’un drame allait arriver", ajoute Saveria. À ces mots, le père de Julie fond en larmes. Il nous confie à la fin de l’audience que lorsqu’il a écouté Saveria, il a eu l’impression d’entendre Julie.
"Je me demandais comment aider Julie Douib, explique Saveria. Je savais que les gendarmes n’allaient pas l'aider et que ses parents étaient loin. Le 3 mars 2019, j’ai eu honte. Ça aurait pu être moi."
"Vous avez dit que ça ne s'est terminé que le 3 mars 2019", l'interroge l'avocate générale. "Oui, répond Saveria. Mais je reste persuadée que même en prison Bruno Garcia reste dangereux."