Drapeaux palestiniens sur les mairies: "Les maires ne sont pas neutres, il y a besoin de résistance"

"Les maires ne sont pas neutres, nous participons au débat politique", revendique ce samedi sur RMC Bruno Piriou, maire divers gauche de Corbeil-Essonnes, à propos du pavoisement du drapeau palestinien sur la façace de sa mairie. Lundi, la mairie distribuera 1.000 drapeaux palestiniens depuis l'Hôtel de ville.
Le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a appelé les maires à hisser le drapeau palestinien lundi 22 septembre, jour de la reconnaissance par la France d’un État palestinien, officialisée par Emmanuel Macron à l’ONU. Le ministère de l’Intérieur a demandé aux préfets de s’opposer à tout pavoisement jugé contraire au principe de neutralité du service public.
"Bruno Retailleau ferait mieux de s'occuper de la sécurité des Français", rétorque le maire Bruno Piriou
"Pourquoi, si c’est interdit, nous laisse-t-on faire depuis près de deux ans ? Nous avons hissé ce drapeau en avril 2024, après l’avoir fait avec le drapeau ukrainien. Il n’y a eu aucun incident depuis", affirme Bruno Piriou. "Bruno Retailleau ferait mieux de s'occuper de la sécurité des Français plutôt que de s'occuper de notre geste."
"Il y a besoin que les citoyens s'en mêlent"
Selon lui, ses administrés se reconnaissent dans cette action: "Beaucoup d’habitants aiment se faire photographier devant l’Hôtel de ville avec ce drapeau. Ils ont le sentiment de participer à un rapport de force pour que cessent les massacres à Gaza."
Lui-même revendique une filiation historique : "Des maires se sont manifestés contre la guerre du Vietnam, pour la libération de Nelson Mandela. C’est notre rôle." Et d’ajouter, en référence à l’actualité internationale : "Ce qui m’inquiète, c’est ce nouvel ordre du monde, la loi des plus forts, avec les plus dingues d’entre nous portés au pouvoir. Nous, citoyens, les bras ballants, on regarde ce monde partir en vrille. Il y a besoin que les citoyens s’en mêlent."
Un drapeau israélien? "Ça ne viendrait pas à l'idée d'un maire de hisser le drapeau russe, il y a un agresseur et un agressé"
Pas question de hisser le drapeau israélien, aux côtés du drapeau palestinien, à l'instar du maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane. "Ça ne viendrait pas à l'idée d'un maire de hisser le drapeau russe. Il y a un agresseur et un agressé. Oui il y a eu des attentats du Hamas le 7 octobre, que j'ai condamnés. Mais je suis allé dans la bande de Gaza en 2009, il faut prendre en compte ce que vivent les Gazaouis, l'interdiction de sortie. Quand j'y suis allé en 2009, c'était déjà après une invasion de l'armée israélienne", explique l'élu.
Bruno Piriou conteste toute forme d'approche ou de tentation communautariste, à l'approche des municipales de 2026. "Dans notre pays on est tous le jour en campagne électorale ; aujourd'hui je ne le suis pas encore, il s'agit d'agir et d'être des militants de la paix. Il y a quelques décennies Nelson Mandela était traité de terroriste et les militants de l'ANC aussi ; j'ai milité pour sa libération — il est devenu président et un des hommes les plus reconnus pour avoir fait du bien pour l'humanité. À l'époque on montrait du doigt ceux qui portaient le drapeau de l'ANC", argumente l'élu.
Malgré l’appel téléphonique de la préfecture reçu la veille, le maire assure qu’il maintiendra son initiative, quitte à être déféré devant le tribunal administratif. "Si la préfecture le souhaite, elle nous y enverra. Mais je crois qu’il y a besoin d’actes de résistance en ce moment", tranche-t-il.
Des habitants partagés
Dans les rues de Corbeil-Essonnes, l’initiative divise. Fouzia, commerçante, reste sceptique. "Ça sert à rien de mettre un drapeau… ça sert à quoi ? Même nous on se pose la question ? Ça sert à quoi ?" Elle aurait préféré des actions plus concrètes pour aider la population de Gaza.
Un autre habitant, au contraire, y voit un geste essentiel : "C’est un appui moral, pour aider les gens à ne pas mourir de faim. C’est quelque chose de bien." Avis partagé par Ibraïm, qui se réjouit de la distribution annoncée des drapeaux. "De nos jours, il faut se prononcer, donner son avis. Si on est neutre, c’est qu’on n’a pas de conscience par rapport à ce qui se passe", dit-il.
Mais d’autres, comme Corine, responsable d’un bureau de poste, dénoncent un mélange des genres : "Je trouve qu’un service public ne doit pas se mêler de drapeaux. Il faut rester neutre." Elle regrette aussi l’utilisation des finances locales : "C’est de l’argent du contribuable. C’est pas normal. Il y a des règles, il faut les respecter."
"Dans le bon sens de l'histoire"
Corbeil-Essonnes n’est pas un cas isolé. D’après l’AFP, plusieurs villes, dont Nantes (Loire-Atlantique), Saint-Ouen, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ou Tarnos (Landes), ont annoncé qu’elles afficheraient le drapeau palestinien sur leurs frontons.
Vendredi, dans un télégramme consulté par l’agence, le ministère de l’Intérieur a rappelé aux préfets que "le principe de neutralité du service public interdit de tels pavoisements", les invitant à saisir la justice administrative en cas de refus des maires de renoncer. À Corbeil-Essonnes, Bruno Piriou n’entend pas reculer. "J’ai le sentiment d’être dans le bon sens de l’histoire", assure-t-il, en appelant à "être des militants de la paix".
Selon un sondage "L'Opinion en direct", piloté par l'institut Elabe pour BFMTV et publié ce samedi 20 septembre, 71% des Français sont opposés à cette proposition, "dont 40% très opposés et 31% plutôt opposés". A contrario, "28% sont favorables, dont 18% plutôt favorables et 10% très favorables".