"L'équation n'a pas changé": comment Sébastien Lecornu peut-il "survivre à l'hiver?"

Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu va-t-il réussir là où Michel Barnier et François Bayrou ont échoué? Les deux prédécesseurs du nouveau locataire de Matignon avaient - eux aussi - été présentés comme des négociateurs, capables d'élargir le bloc central et trouver des compromis, à gauche comme à droite.
Fin 2024, le premier avait pourtant accordé plusieurs concessions à l'extrême droite (renoncement de la hausse des taxes sur l'électricité, réduction de l'AME). Pas suffisant pour le RN cependant, qui avait joint ses voix à la gauche pour faire tomber l'ancien négociateur de l'UE à propos du Brexit.
Le second avait réussi à obtenir un accord de non-censure au début de l'année avec le PS pour passer le budget 2025. C'était avant que le projet pour celui de 2026 et ses 44 milliards d'euros d'économies ne cristallisent toutes les tensions et poussent les socialistes à ne pas voter la confiance, lundi.
"On avait dit aussi de Barnier et de Bayrou qu’ils étaient de bons négociateurs… Attendons de voir si cela s’avère vrai cette fois", tempère sur RMC Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste en communication politique.
En ce mois de septembre 2025, la France devra se doter d'un budget d'ici le 31 décembre. Pour Sébastien Lecornu, il s'agira de revoir la copie afin d'éviter la censure, surtout s'il devait engager le 49.3 pour faire passer en force le texte.
"Il entretient de bonnes relations avec le RN"
"Rassurer le pays et calmer la colère ? C'est difficile : cela se réglera à la présidentielle", considère Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG conseil. "Ce qu’il peut faire, c’est apaiser la situation sur le plan parlementaire, obtenir un budget qui passe et survivre à l’hiver."
"Avec le RN, il a effectivement dîné avec Marine Le Pen et Jordan Bardella. Il entretient de bonnes relations avec eux. Peut-être pourra-t-il obtenir un certain apaisement, même si l’on est en période électorale pour les municipales, ce qui complique les choses", poursuit Philippe Moreau Chevrolet.
"L’équation n’a pas changé en profondeur: pas de majorité possible, une mission presque impossible", analyse de son côté Bruno Cautrès, politologue et chercheur CNRS au Cevipof. Selon lui, il va falloir "expliquer aux socialistes qu’un macroniste, en poste depuis 2017 et issu de la droite, aurait une meilleure capacité à trouver des points de convergence avec eux."
"On a le sentiment que si un nouveau Premier ministre devait encore être nommé, Macron devrait se nommer lui-même", ironise Bruno Cautrès.
La recherche du compromis semble même moins propice qu'en septembre 2024, selon Bruno Cautrès, qui rappelle: "On est passé de Barnier, qui voulait incarner une forme de cohabitation, à Bayrou, moins indépendant de Macron, et maintenant à Lecornu, un très proche du Président. Il incarne une forme de macronisme", estime ce dernier. "On a le sentiment que si un nouveau Premier ministre devait encore être nommé, Macron devrait se nommer lui-même, cumulant les deux rôles", ironise le politologue.
Marine Tondelier, qui considère la nomination de Sébastien Lecornu comme une "provocation", a déclaré mardi soir qu'elle ne serait pas surprise de voir se maintenir à leur poste Gérald Darmanin à la Justice ou Bruno Retailleau à l'Intérieur. Avis partagé par Bruno Cautrès. "Du côté de LR, il y a une forme d’a priori positif envers Lecornu : beaucoup de Républicains le voient comme l’un des leurs. Rien d’étonnant, donc, à ce que Retailleau reste au gouvernement", fait-il savoir.
"Ce qui se dessine, c'est la présidentielle"
"En réalité, ce qui se dessine déjà, c’est la prochaine présidentielle", prophétise Philippe Moreau Chevrolet. Aura-t-on un bloc central, allant du PS aux LR en passant par les macronistes, capable de produire un résultat politique commun ? Ou bien des modérés éclatés face au RN et à LFI, avec deux populistes au second tour ?", s'interroge-t-il.
Pour les socialistes, l'enjeu est de réussir à obtenir gain de cause d'ici 2027, abonde Bruno Cautrès, et ce afin de se démarquer - définitivement - de LFI. "Il faudrait que les socialistes puissent dire aux électeurs, aux municipales comme à la présidentielle: 'Nous avons agi différemment de LFI, et cela a permis d’obtenir des avancées'".
Le premier secrétaire du PS Olivier Faure a déjà prévenu Sébastien Lecornu: il faudra se passer du 49.3, permettant l'adoption d'un texte sans vote de l'Assemblée, pour démontrer "que la méthode change" par rapport aux précédents gouvernements.
"On doit pouvoir parler du SMIC, des salaires, de tout ce qui peut permettre aux Français de vivre mieux. C’est ce qu’ils attendent depuis 8 ans. Si leurs vies ne changent pas, alors ce sera non", a ainsi martelé le socialiste ce mercredi matin sur Franceinfo.
Le RN ne censurera pas "a priori" Sébastien Lecornu
Même son de cloche pour Jordan Bardella, le président du RN, qui attend une "rupture" de la part du nouveau Premier ministre. Le parti d'extrême droite ne veut pas censurer "a priori" mais "écouter le discours de politique générale" de Sébastien Lecornu, a déclaré l'eurodéputé, en marge d'une session plénière du Parlement européen. Le président du RN n'a toutefois "aucune illusion" et juge le bail du chef du gouvernement "très précaire".