Projet de loi immigration: pourquoi ça devient un vrai casse-tête pour le gouvernement

En marge d'un dîner lundi soir avec le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau, Elisabeth Borne s'est dite ouverte à l'idée de retirer l'article 3 du projet de loi, qui prévoit la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension.
Le projet de loi immigration arrive au Sénat le 6 novembre prochain dans le contexte de menace terroriste, c’est un casse-tête pour le gouvernement. Le projet de loi immigration, présenté il y a un an, incarnait le "en-même temps". Un pied à droite. Avec un volet ferme sur l’expulsion des délinquants étrangers. Un pied à gauche. Sur la régularisation des travailleurs sans papier, dans les métiers en tension : restauration, BTP, l'hôtellerie.
Le tout, incarné par un ministre de l’Intérieur qui vient de la droite. Gérald Darmanin et celui du Travail qui vient de la gauche, Olivier Dussopt. Ça, c’est sur le papier parce que très vite le texte crispe.
La gauche ne veut pas en entendre parler. LR estime que le fameux article 3, sur la régularisation des étrangers dans les métiers en tension, c’est un appel d’air. Rapidement ça devient une ligne rouge.
L’examen du texte s’annonce explosif. Impensable de le voir arriver au Parlement, comme prévu, dans la foulée de la réforme des retraites, il est repoussé à plusieurs reprises.
Des tensions internes avec l'aile gauche de la majorité
Le contexte a changé avec l’attentat d’Arras et maintenant le gouvernement veut aller plus vite. L’exécutif se retrouve au pied du mur. Il doit montrer qu’il agit pour la sécurité des Français, mais il lui reste 12 jours avant l’examen du texte au Sénat. Alors il faut être efficace. Pragmatique. Et réussir à faire voter le texte sans passer par un 49-3.
Pour cela faut-il continuer à écouter une partie de la majorité arc-boutée sur le volet 'métiers en tension' ? L’aile gauche de la macronie incarnée par le député Sacha Houlié, qui en fait un totem. Le député Renaissance, très remonté par une éventuelle disparition du titre de séjour spécial pour les métiers en tensions. Pour lui, il n'est pas question de lâcher.
Une position pourtant loin de faire l'unanimité au sein de la majorité. D’autant que Les Républicains font de cette mesure une ligne rouge. Alors pour se laisser une chance d'adopter le texte, il faudra bien des concessions juge la députée Renaissance Marie Guévenoux.
Pour tenter de maintenir le dispositif, la majorité envisage notamment une version remaniée du titre de séjour 'métiers en tension', moins contraignante. Certains au sein des troupes présidentielles souhaitent qu’il lâche du lest "on ne va pas mourir pour cet article !" confie par exemple une élue Renaissance.
Le gouvernement lui-même comprend que l’issue de sortie, le vote du texte, se trouve du côté de LR, alors c’est à eux qu’il faut tendre la main. Voilà pourquoi mardi Elisabeth Borne a laissé entendre au patron de la droite au Sénat, qu’elle était prête à abandonner l’article 3, celui sur les métiers en tension quitte à passer par la voie réglementaire. Dans une interview au Point en août dernier, le chef de l'Etat n'avait pas exclu d'utiliser à nouveau le très controversé article 49.3 de la Constitution, comme sur les retraites, pour imposer sans vote cette loi sur l'immigration.
Pourquoi cet article 3 fait particulièrement polémique ?
Il s'agit de celui sur la régularisation des métiers en tension. Le gouvernement veut à tout prix éviter ce scénario et à Matignon, on fait savoir que l’on tient à "l’unité" de la majorité. D’après nos informations, l’exécutif serait en réalité en train de chercher une voie de passage, une sorte de troisième voie. Et pour cela, Gérald Darmanin consulte à tour de bras.
L'objectif est de convaincre avec l’aide des centristes les sénateurs LR de réécrire l’article 3 sur les métiers en tension. D’après un député qui suit les négociations de près, l’idée c’est d’inscrire dans ce nouvel article, disons "l’article 3bis", le principe de régularisation des travailleurs dans les métiers en tension, mais avec des critères resserrés sur la durée passée en France, la période travaillée et en renvoyant au pouvoir discrétionnaire des préfets.
En somme, le préfet ne sera pas obligé de régulariser tous les sans-papiers qui travaillent dans les métiers en tension ; il devra étudier leur profil, leur parcours, pour prendre sa décision.
Une sortie par le haut pour le gouvernement ?
Tout le monde y trouverait son compte. La droite aura réussi à torpiller la première version du texte. Gain politique. L’aile gauche de la macronie conserve un article 3 sur la régularisation des métiers en tension.
Et le gouvernement voit un texte arriver à l’Assemblée nationale votée avec l’aide des sénateurs de droite ! Difficile alors pour les députés LR Eric Ciotti et Olivier Marleix de brandir, comme c’est le cas aujourd’hui la menace d’une motion de censure qui pourrait faire chuter le gouvernement.