"On ne sèmera plus et les sucreries fermeront": en colère, les agriculteurs manifestent à Paris
La France est le numéro 1 du sucre en Europe, mais pour combien de temps encore? Les doléances des agriculteurs, et particulièrement des producteurs de betteraves, se multiplient, notamment en raison hausse de leurs coûts de production du fait de la flambée des prix de l'énergie.
Mais une décision a fait déborder l'eau du vase des contraintes pesant sur l'agriculture: le réinterdiction des pesticides néonicotinoïdes dits "tueurs d'abeilles". Une dérogation avait été instaurée pour sauver les récoltes décimées en 2020, mais l'UE estime que cette dérogation à notre propre loi française est illégale. Alors que le produit est toujours autorisé dans les autres pays de l'UE.
Des centaines de camions ont donc convergé vers Paris ce mercredi pour dénoncer cette situation.
"On se retrouve dans l'impossibilité de protéger nos cultures"
Franck Sander, agriculteur en Alsace et président de la Confédération générale des planteurs de betteraves, a expliqué dans "Apolline Matin" sur RMC les fondements de cette colère. "L'objectif n'est pas de bloquer les Parisiens, c'est de se faire entendre." Se faire entendre pour dénoncer ce qu'ils ressentent comme une injustice. Car avec cette interdiction, ils se sentent désarmés face aux attaques des pucerons.
"On se retrouve dans l'impossibilité de protéger nos cultures contre les ravageurs, les insectes, les maladies du feuillage et autres. En 2020, le gouvernement a défendu une loi qui nous permettait de déroger", rappelle-t-il.
Mais ce n'est donc plus le cas aujourd'hui. Le 23 janvier, ce dernier a renoncé à autoriser les insecticides néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, à la suite d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne estimant illégale toute dérogation.
Le puceron particulièrement ravageur pour la betterave
Pourtant, Franck Sander rappelle qu'ils font face à un ennemi microscopique qui avait conduit à la destruction de 70% des récoltes en 2020.
"Le problème de la betterave, ce sont les pucerons qui sont tous porteurs d’un virus: la jaunisse nanisante. Dès que le puceron pique la feuille, notre betterave est malade. À ce stade, il n'y a pas d'autre solution pour nous protéger. Sans solutions, sans garanties, on ne sèmera plus de betteraves et les usines de sucrerie fermeront. Et donc, plus de sucre, de gel hydro-alcoolique ni d'éthanol. Toutes ces productions et emplois vont disparaître", alerte-t-il.
"On ne comprend pas la décision de la Cour de justice européenne, poursuit-il. Car la France avait donné toutes les garanties nécessaires en terme d'environnement et de biodiversité. Le produit était enrobé et non pulvérisé, et ne visait donc que les insectes piqueurs-suceurs. Nos champs de betteraves ne fleurissent pas donc il n’y avait aucun risque pour les pollinisateurs, contrairement à ce que disent certains. C’est ce qui est dommage: la politique prend le dessus sur la technique. On s’était même engagé, au cas où il reste des résidus dans le sol, à ne pas semer de culture à fleurs pendant trois ans après la culture de betterave, donc le risque pour les abeilles était de zéro."
"Le seul pays qui se trouve sans solution, c'est la France"
L’INRAE, l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, estime il n'y a actuellement aucun autre moyen de protéger les 400.000 hectares de betteraves françaises. "C'est pour ça qu'on a lancé un vaste programme de recherche et d'innovation qui devrait déboucher d'ici deux, trois ans, avec des solutions alternatives", espère Franck Sander.
Le risque étant que ces cultures disparaissent les unes après les autres. D’ailleurs, des producteurs de pommes de terre, de fruits, et les endiviers défilent également ce mercredi aux côtés des producteurs de betterave, inquiets pour leur avenir. "On est tous dans des impasses", souffle Franck Sander.
"Toutes les décisions depuis trois, quatre ans font que l'Europe est passée d'exportatrice de sucre à importatrice. Aujourd’hui, le sucre que nous consommons vient du Brésil, déforesteur, qui produit avec des molécules interdites en Europe", dénonce-t-il.
Sur ce marché mondial très compétitif, les producteurs ont l'impression de se battre avec des bouts de bois. "L'Allemagne et tous les autres pays d’Europe ont donc un produit qui les protègent, ce qui fait que le seul pays qui se trouve sans solution, c'est la France. Et c’est la loi Pompili de 2016 qui nous l’interdit. Nous n’avons pas d’alternative, il faut que le gouvernement assume cette responsabilité".