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Gestion du Covid-19: "Irresponsables mais pas coupables", un livre-enquête dévoile les failles de l'État

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Dans leur nouveau livre-enquête Les juges et l'Assassin, Fabrice Lhomme et Gérard Davet reviennent sur la gestion du Covid-19 par l'État, jusqu'en juin 2020. Stocks de masques, mensonges, obstruction de la justice... Les deux journalistes, invités des Grandes Gueules sur RMC, expliquent avoir eu accès au contenu des investigations menées par la CJR.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme, journalistes au quotidien Le Monde, dévoilent dans leur nouveau livre-enquête Les Juges et l'Assassin, publié le 22 janvier, les coulisses de la gestion de crise du Covid-19 par l'État.

Invités des Grandes Gueules sur RMC, les deux journalistes ont expliqué s'être appuyés sur l'enquête "confidentielle" de la Cour de justice de la République, seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour des crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.

Trois membres de l'exécutif, en effet, ont été dans le viseur de la CJR, à savoir le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, Agnès Buzyn et Olivier Véran, le dernier étant devenu ministre de la Santé après la candidature de la seconde à la mairie de Paris.

Vers un non-lieu pour Philippe, Véran et Buzyn

Fin décembre, on apprenait que les investigations, débutées en juillet 2020 après le dépôt de plusieurs plaintes, étaient closes. Pour les deux journalistes, un non-lieu devrait être prononcé en faveur des trois anciens ministres. Ils étaient chacun placés sous le statut de témoin assisté. Seule Agnès Buzyn avait été un temps mise en examen pour "mise en danger d’autrui" avant que la Cour de cassation ne l'annule en janvier 2023.

Pourtant, les "politiques sont censés rendre des comptes", estime sur RMC Gérard Davet. "Il y a eu une déresponsabilisation des politiques, au profit éventuellement de l'administration. Quand ces politiques sont amenés à rendre des comptes devant les juges, il n'y a plus personne. 'Circulez, il n'y a rien à voir'. 'Comment osez-vous poser cette question?'", relate le journaliste.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme face aux GG - 23/01
Gérard Davet et Fabrice Lhomme face aux GG - 23/01
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Stocks des masques: aucun responsable identifié

Cette "déresponsabilisation des politiques au profit de l'administration", elle s'est notamment matérialisée à propos de la gestion des stocks de masques, appuie Fabrice Lhomme. "Les masques, c'est l'élément essentiel pour lutter contre une pandémie. Le pouvoir était au courant de ça."

Ce qui provoque cette "situation ubuesque", celle où "les juges ont été incapables de déterminer qui finalement a décidé de changer de stratégie sur les masques, que l'Etat arrête d'empiler ou compiler les stocks de masques et laisse ça aux employeurs, ce qui a été une erreur car ils n'étaient pas au courant de ce changement."

"On est tombé sur des documents qui disent en septembre 2019 que le stock de masques est arrivé à péremption et que même s'il est périmé, il n'est pas question de le reconstituer, pour des raisons budgétaires. En janvier, le gouvernement vient dire 'Ce n'est pas utile et on en a largement insuffisant". Songez qu'on avait 2 milliards en 2010 contre 65 millions en 2020, c'est 65 millions, ce n'est rien", poursuit le journaliste.

"On est tombé sur une série de documents et de témoignages absolument éclairants qui démentaient la version officielle 'On a fait tout ce qu'on a pu', alors que c'est exactement l'inverse", explique Fabrice Lhomme

Lorsque Édouard Philippe, Premier ministre, affirme en mars après la fermeture des écoles, au JT de 13h de TF1, que le masque ne "sert à rien pour les personnes non-malades", c'est un "mensonge", affirme Gérard Davet, qui cite des notes confidentielles prises par des ministres lors des Conseils des ministres et Conseils de défense, dans lesquels l'actuel maire du Havre s'inquiète du nombre insuffisants de masques. "Il faut trouver une solution et elle consiste à dire 'Ce n'est pas si utile que ça", poursuit le journaliste.

"Une administration laissée libre de faire ce qu'elle veut"

Si le terme "État profond" revient dans le livre, ce n'est pas dans sa "version complotiste", met en garde Gérard Davet. L'idée "que des gens dans l'ombre tirent les ficelles, ce n'est pas du tout ça". L'État profond, "tel qu'il apparaît, une administration laissée libre de faire ce qu'elle veut, les structures ne communiquent pas entre elles, personne ne sait qui fait quoi, personne ne sait qui quoi."

On l'a fait pour les 170.000 morts, ce n'est pas rien. Les politiques ont voulu tirer un tapis dessus en disant 'On passe à autre chose', ce n'est pas glorieux mais on s'en sort pas si mal que ça'", justifie Gérard Davet

"A partir du début des années 2010, Bachelot prend des dispositions fermes à juste titre contre le H1N1, elle est critiquée. On va prendre une destination inverse, le choix de se désarmer, c'est le grand désarmement. Ce sont des choix faits pour des raisons budgétaires et un calcul erroné puis maquillés sous des prétextes scientifiques, à savoir l'idée que le masque ne sert à rien. Des dizaines de notes confidentielles disent que le masque est indispensable", abonde Fabrice Lhomme.

"Une panique généralisée au coeur du pouvoir"

Si les politiques ainsi devraient bénéficier d'un non-lieu, "une autre instruction arrive, au pôle du tribunal judiciaire de Paris", explique-t-il. Ainsi, c'est cette fois l'administration qui sera dans le viseur, notamment Jérome Salomon, directeur général de la Santé de 2018 à avril 2023, et Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France jusqu'en 2022.

Une gestion de crise qui a souffet d'un "double discours", selon Gérard Davet. "Un double discours très dangereux" car, selon des échanges de SMS entre le président de la République et Edouard Philippe, Agnès Buzyn et Olivier Véran, "on voit une panique généralisée qui s'installe au coeur du pouvoir". Pourtant, dans l'espace public, on dit "Circulez, il n'y a rien à voir".

Obstruction de la justice

La justice a-t-elle pu faire correctement son travail, à savoir enquêter sur des ministres pour des potentiels crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions? "On met à jour plusieurs tentatives d'obstruction du travail des magistrats. Une conseillère justice de l'Elysée qui va briefer les collaborateurs de Macron, car même s'il est protégé par l'immunité, ses collaborateurs peuvent être interrogés. On va leur faire réciter un texte, apprendre par coeur", dévoile Fabrice Lhomme, qui considère cela comme "extrêmement choquant".

Le journaliste fait savoir que Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale, a également été impliqué: "Le président de l'Assemblée, indépendant en vertu de la séparation des pouvoirs, a vu son texte modifié par l'Elysée, qu'il devait remettre aux juges. Sa copie a été réécrite par l'Elysée pour être dans les clous. C'est une violation pure et simple de la séparation des pouvoirs", dénonce Fabrice Lhomme.

"Irresponsables mais pas coupables' car les responsables en charge n'ont pas fait preuve de la responsabilité qui était censée poser sur leurs épaules,à savoir protéger au mieux le pays car il y a eu ce grand désarmement", conclut-t-il.

Léo Manson