Election américaine 2024: Kamala Harris face à Donald Trump, le récit du duel qui n'était pas annoncé

J-1 avant le scrutin de l’élection présidentielle américaine, qui verra s’affronter Donald Trump et Kamala Harris. Qui du candidat républicain, déjà président entre 2017 et 2021, ou de la démocrate, actuelle vice-président, succèdera à Joe Biden à la Maison-Blanche?
Entre une entrée campagne très précoce du milliardaire, dès novembre 2022, animé par un esprit de revanche, et celle très tardive et non-programmée de Kamala Harris à la suite du renoncement de Joe Biden en juillet 2024, retour sur l’une des campagnes les plus polarisées et violentes qu’ont connue les Etats-Unis.
La revanche de Donald Trump
15 novembre 2022. Donald Trump annonce sa candidature à l’élection présidentielle de novembre 2024, soit deux longues années avant le scrutin, depuis sa résidence de Mar-a-Lago en Floride. Il y est exilé depuis janvier 2021, ayant quitté Washington à la suite de sa défaite trois mois plus tôt face au démocrate Joe Biden, alors qu’il briguait un second mandat en tant que président des Etats-Unis.
Une défaite qu’il n’a jamais reconnue, chauffant à bloc ses partisans, assénant de toute part que l’élection aurait été volée. Cette spirale complotiste a culminé avec l’assaut du Capitole survenu le 6 janvier de la même année, alors que le Congrès devait certifier l’élection de Joe Biden. Depuis, nombreux observateurs qualifient cet épisode d’une forme de tentative de coup d’État.
Refusant de retourner dans sa somptueuse Trump Tower à New York et lui préférant la Floride, Donald Trump rumine et ronge son frein. Tout le monde sait qu’il ne rêve que d’une chose, redevenir président afin de prendre sa revanche et laver son honneur, qu’il estime bafoué. La seule interrogation restait sur le "quand".
Toujours adulé par une grande partie de l’électorat républicain, l’ancien président décide de partir très tôt en campagne afin de couper l’herbe sous les pieds à d’autres candidats du "Grand Old Party ", qui seraient tentés d’instaurer l’"après-Trump". De plus, l’ancien présentateur de The Apprentice sait que plus tôt il partira en campagne, plus tôt il pourra attaquer Joe Biden en cas de poursuites judiciaires. Il sait que la justice finira par le rattraper.
Biden se lance, "pour la démocratie"
Dans sa déclaration de candidature, Donald Trump fustige l’actuel président : "Joe Biden incarne les échecs de la gauche et de la corruption de Washington ", accuse-t-il. L’homme de 76 ans, plus vieux président élu des Etats-Unis lors de son élection en novembre 2016, devant Ronald Reagan, avant d’être détrôné par Joe Bien en 2021, entame sa troisième campagne présidentielle. Et ne change en rien son slogan qui l’avait fait gagner à l’époque, "Make America Great Again" (qu’il avait repris à Ronald Reagan, justement).
A cette époque, novembre 2022 donc, Joe Biden ne s’est pas quant à lui prononcé sur son éventuelle candidature à un second mandat. Élu en novembre 2020 à l’âge de 77 ans et ayant pris ses fonctions à 78 ans, ses ambitions de briguer un éventuel second mandat pouvaient déjà, à l’époque, se heurter aux questions posées sur son âge.
86 ans, est-ce trop vieux pour présider?
Pourtant guère plus âgé que son rival républicain (quatre ans d’écart), le démocrate a toujours paru moins énergique que le premier. Il faut dire qu’en cas d’une éventuelle victoire, l’ancien sénateur du Delaware terminerait son second mandat à l’âge de 86 ans.
Mais le démocrate a pour son avantage d’avoir su gérer la période dite "post-Covid", d’un point de vue économique et sanitaire, là ou Donald Trump avait enchaîné les sorties hallucinantes et approximations scientifiques. Surtout, le démocrate s’est doté d’une grande stature internationale lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
Du côté des démocrates, aucune figure n’émerge ou perçue comme capable de faire de l’ombre à Joe Biden. C’est donc naturellement, avec peu de suspense, que le président annonce, en avril 2023, sa candidature à sa réélection, avec pour objectif de "finir le travail". Dans sa vidéo, des images du Capitole défilent et l’homme de 80 ans assure vouloir battre Donald Trump, afin de "défendre la démocratie".
Pour devancer les critiques sur son âge, l'octogénaire brandit bilan de santé et note de son médecin certifiant sa bonne santé physique et son acuité mentale. Surtout, il estime être le seul à pouvoir battre Donald Trump (puisqu’il l’a déjà fait), qui depuis sa candidature n’a cessé de radicaliser son discours, multipliant les outrances et fake news.
Le parti démocrate, sans réelle d’autre solution, se range derrière le président sortant. L’Amérique est donc d’ores et déjà, à plus d’un an du scrutin, condamnée à un match retour entre les deux hommes, les candidats les plus vieux au poste suprême qu’ont connu les Etats-Unis.
"Ne vous rendez jamais", clame Donald Trump
L’année 2023 pour Donald Trump est davantage judiciaire que politique, en dépit ce qu’il souhaite faire entendre. Comme précédemment évoqué, ses actions en 2020 et 2021 ont fini par le rattraper. Inculpé pour la première fois en septembre 2022 pour des fraudes réalisées au sein de la Trump Organization, le procès se déroule en septembre-octobre 2023 et est condamné en février 2024.
S’enchainent en avril, juin et août 2023 trois autres inculpations pour respectivement la falsification de ses comptes de campagne de 2016 (dont le paiement dissimulé à une actrice de films X), la conservation de documents classifiés à son domicile en Floride lors de son départ de la Maison Blanche, et enfin la tentative de renverser le résultat de la présidentielle de 2020, avec une inculpation en Géorgie et une inculpation au niveau fédéral (la plus grave) pour "complot contre les Etats-Unis".
Mais ses démêlés judiciaires sont l’occasion pour le milliardaire d’en faire un élément de campagne, se présentant comme persécuté par l’administration Biden et héraut de la démocratie américaine. Le 24 août 2023, il rentre un peu plus dans l’histoire américaine avec la publication par les autorités de son "mugshot" (photo d’identité judiciaire en français), lorsqu’il se rend dans une prison en Géorgie pour y être arrêté, avant d’être libéré sous caution.
Banni de Twitter lors de son départ à la présidence des Etats-Unis, il y avait été réhabilité par Elon Musk ayant racheté la plateforme et désormais renommée X. Il avait jusque-là boudé la plateforme mais y fait son grand retour en postant la photo avec la mention "Never surrender".
La formalité des primaires
Si Trump enchaîne les meetings, Biden reste plus discret dans sa campagne avant le début de l’année 2024. Souvent raillé par le républicain pour ses facultés mentales et physiques, "Sleepy Joe", le président démocrate entend bien ferrailler avec son rival. 2024, c’est aussi l’année durant laquelle se déroule les primaires du parti républicain et démocrate.
Car oui, tant les médias et les deux candidats ont implanté ce duel inéluctable entre eux, d’autres candidats espèrent rafler l’investiture de leur parti pour briguer la Maison-Blanche. Du côté républicain, si Mike Pence, l’ancien vice-président de Trump, avait en 2023 annoncé sa candidature car désormais brouillé avec son ancien binôme, elle ne fera pas long feu. Le plus grand rival de Donald Trump est une femme et il s’agit de Nikki Haley. Elle renonce finalement le 6 mars 2024.
Du côté démocrate, aucun candidat crédible réellement face à Joe Biden, Dean Philipps retire également sa candidature le 6 mars, lors du Super Tuesday, qui se tient le même jour pour les deux partis. Robert Francis Kennedy Jr, candidat aux gros accents complotistes, avait renoncé à candidater aux primaires démocrates dès octobre 2023, avant de vouloir se présenter en indépendant. Il s’est finalement rallié à Trump en août 2024.
"Mitterrand d'Allemagne", "président Poutine"... La santé mentale du démocrate devient un sujet majeur
Passées donc les formalités des primaires, le printemps 2024 pointe le bout de son nez et les deux candidats entrent définitivement dans le ring. Mais 2024 sonne le glas des espoirs pour Joe Biden de continuer la bataille. Moqué déjà pour ses gaffes et étourderies, le président semblait, malgré tout, conserver la pleine capacité de ses facultés mentales. 2024 sera l’année d’un président qui semble complètement perdre pied et perçu comme inapte à conserver l’exercice de ses fonctions.
"J’ai dit L’Amérique est de retour et Mitterrand, d’Allemagne, je veux dire, de France, m’a regardé et dit: Vous êtes de retour pour combien de temps?", déclare-t-il en février de cette même année, confondant la France et l’Allemagne et Emmanuel Macron avec François Mitterrand. Quelques jours plus tard, il rattache le général al-Sissi au Mexique, alors qu’il est président égyptien. Enfin, en juillet, Joe Biden présente le président ukrainien Volodymyr Zelensky, derrière lui, comme le "président Poutine".
Un débat catastrophique pour Joe Biden
Une crédibilité déjà bien entamée quelques jours plus tôt, avec ce qui était présenté à l’époque comme le premier débat (finalement l’unique) entre Donald Trump et Joe Biden à la télévision. Cherchant ses mots, bafouillant, parlant avec une voix faible et semblant parfois totalement ailleurs, le naufrage est total, devant des millions de téléspectateurs. Le candidat républicain semble même surpris de constater face à lui les errances de son rival et assène devant lui : "Je n'ai rien compris à ce qu’il a dit et je crois que lui non plus".
Donald Trump échappe à une tentative d'assassinat
La campagne prend ensuite définitivement un autre tournant lorsque le 13 juillet, lors d’un meeting en plein air à Butler (Pennsylvanie), Donald Trump est victime d’une tentative d’assassinat. Blessé à l’oreille, la scène est filmée et les images de lui, se relevant le visage ensanglanté, le poing en l’air, font le tour du monde. Le républicain peut désormais endosser une posture quasi messianique auprès de ses partisans. Celui que l’on veut faire taire (définitivement) ira jusqu’au bout. Le tireur est immédiatement abattu.
Clap de fin pour Biden
Du côté démocrate, les demandes pressant Joe Biden de se retirer ont fleuri depuis 2024, au point que même George Clooney y prenne part, ainsi que le New York Times. Le démocrate s’exécute finalement le 21 juillet. "Je pense qu’il est dans l’intérêt de mon parti et du pays que je me retire et que je me concentre uniquement sur l’exercice de mes fonctions de président jusqu’à la fin de mon mandat", déclare-t-il.
Campagne express pour Harris
Dans la foulée, sa vice-présidente Kamala Harris annonce son intention d’obtenir l’investiture démocrate, afin de battre Donald Trump. L'issue ne fait aussi guère de doute. Le calendrier étant serré, seule sa personnalité est capable, pour les démocrates et aux yeux des observateurs politiques, de concurrencer l’ancien président républicain. S’ensuit une gigantesque levée de fonds en faveur de l’ancienne procureure de Californie. Le 6 août, elle dévoile le nom de son colistier à savoir Tim Walz, le gouverneur du Minnesota.
Donald Trump a-t-il perdu au change ? Lui qui aimait tant railler son rival sur son âge se retrouve désormais être un homme de 78 ans face à une de femme de 59 ans (elle a fêté ses 60 ans le 20 octobre). C’est même elle qui désormais s’attaque aux facultés mentales de Donald Trump, allant l’accuser en octobre de mentir sur son bilan médical et déclarant : "Il est inapte à exercer ce mandat".
Fake news et propos discriminants
Car le 10 septembre, lors de leur débat télévisé (là aussi le seul car le républicain a ensuite refusé de participer à un deuxième), Donald Trump n’est pas paru à son avantage face à la démocrate. Surtout lorsque le milliardaire s’est vautré dans des théories xénophobes et discriminantes envers la communauté haïtienne, accusant les immigrants de manger des "chiens et chants" à Springfield. La ville avait pourtant formellement démenti les rumeurs la veille.
Après ce débat, la campagne entre dans une nouvelle ère, celle de deux candidats cloisonnés, qui ne se rencontrent plus et parlent dans des médias qui leur sont favorables, qu’ils soient à la télévision ou sur internet (réseaux sociaux, podcasts…) Et enchaînent les meetings à grands coups de matraquages publicitaires (SMS, pancartes, caravane, démarchage).
Au point que de nombreux Américains frôlent l’overdose, dans une campagne qui devrait être la plus chère de l’histoire des Etats-Unis, dépassant allégrement les 10 milliards de dollars. Si Donald Trump a pu remplir le Madison Square Garden à New York, Kamala Harris s’est payée un affichage XXL sur la sphère de Las Vegas. Exemple parmi tant d’autres.
Le show-biz soutient Harris, Musk soutient Trump
Si la démocrate peut se targuer d’avoir le soutien de nombreuses personnalités américaines (Taylor Swift, Jennifer Lopez, Beyoncé et tant d’autres), ceux de Donald Trump sont plus faméliques. A l’excepté peut-être d’un: Elon Musk. L’homme le plus riche du monde, propriétaire de X et fondateur de Space X, a décidé de soutenir le républicain et est même devenu son plus gros donateur, avec 75 millions de dollars versés, selon Reuters.
Surtout, le patron de Tesla a lancé une loterie quotidienne où il permet à un électeur ayant signé une pétition conservatrice et pro-armes de remporter 1 million de dollars. Vendredi, un tribunal fédéral américain a renvoyé l’opération devant la justice de l’État de Pennsylvanie, ce qui ne l’empêche pas de se poursuivre.
Si les programmes auront été aussi peu abordés, c’est parce que l’axe programmatique n’a pas été une composante de cette campagne. Les candidats, dont la vision du monde est diamétralement opposée, ont abandonné l’idée de batailler sur le terrain des idées.
Donald Trump, un "fasciste" selon Kamala Harris
Les invectives et outrances de Donald Trump n’ont pas aidé à y remédier mais Kamala Harris n’a pas souhaité non plus tant investir ce terrain, préférant s’attaquer à Trump justement sur son comportement, ses fakes news et sa responsabilité lorsqu’il était président entre 2017 et 2021. Elle l’a même qualifié récemment de "fasciste", à la suite des révélations de son ancien chef de cabinet, affirmant que Donald Trump estimait qu’Adolf Hitler "avait fait de bonnes choses".
Donald Trump n’est pas en reste et n’avait pas attendu cette saillie pour insulter Kamala Harris de "vice-présidente de merde". Sur le programme, au-delà de sa vision ulta-libérale en matière d’économie, le républicain aura alimenté ses discours par ses propos anti-migrants, assurant notamment qu’il finira l’édification du mur à la frontière mexicaine, mais aussi de "régler" la guerre en Ukraine en 24h, lui qui ne souhaite pas continuer l'envoi massif d'argent américain à Kiev.
La bataille des idées ne fait plus recette
Kamala Harris aura fait, de son côté, du droit à l’IVG et du droit des femmes à disposer de leur corps un élément central de sa campagne, avec notamment le soutien de Beyoncé à l’un de ses derniers meetings. Donald Trump avait ébranlé aux Etats-Unis ce droit fondamental en placant à la Cour Suprême des juges ultraconservateurs qui étaient revenus sur l’arrêt Roe vs Wade, qui, depuis 1973, accordait aux Américaines le droit d’avorter dans tout le pays.
Cette décision n’avait pas rendu pas les interruptions volontaires de grossesse illégales, mais renvoie désormais à chaque Etat la décision d’autoriser, ou non, l’avortement sur son territoire. "Nous savons que s'il était élu, il interdirait l'avortement dans tout le pays", a déclaré la candidate démocrate.
Reste à savoir si, ce 5 novembre 2024, le dénouement sera connu rapidement ou non, Donald Trump n'ayant laissé guère de doutes sur ses intentions de contester les résultats de l'élection s'ils ne sont pas en sa faveur. Une position partagée désormais par l'ensemble de ses partisans.