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Le vote Macron est d'abord un vote urbain

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Le résultat du premier tour de la présidentielle est-il le faire part de décès du traditionnel clivage gauche-droite? Pour le géographe Jacques Lévy la nouvelle carte géographique qui a consacré Emmanuel Macron et Marine Le Pen marque l’émergence d’une nouvelle rupture de la société française.

D’un côté, une moitié nord-est industrialisée qui voterait majoritairement pour Marine Le Pen. De l’autre, un grand Ouest avec des inégalités faibles qui a porté Emmanuel Macron. La France électorale est-elle coupée en deux par une ligne Le Havre-Marseille? Oui, mais pas seulement selon Jacques Lévy, spécialiste de la géographie politique et enseignant à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

Dans une carte publiée par Le Temps un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, vous mettiez en lumière l’opposition entre deux France, séparées par une ligne Le Havre-Marseille. En quoi est-ce que ce premier tour s’est joué sur ce clivage?

Ce n’est qu’un aspect d’un clivage qu’on retrouve en effet sur la carte de cette élection. Il a commencé à se mettre en place dès 1992 avec le référendum sur le traité de Maastricht. A ce moment-là, il y a trois choses qu’on avait peu remarqué et qui apparaissent. D’abord cette opposition Nord-Est/Sud-Ouest. En gros, d’un côté, la France industrielle qui se méfie de l’Europe et, de l’autre, la France qui n’a pas connu massivement l’industrialisation. Vient ensuite un clivage entre les régions qui ont eu maille à partir avec l’Etat central, comme la Bretagne, le Pays basque, l’Alsace, qui apparaissent comme particulièrement favorables au ‘oui’. Et enfin, et c’est peut-être le phénomène le plus important, une opposition entre le vote des grandes villes et leurs alentours. Effectivement, à quelques nuances près, on retrouve cela dans la carte qui confronte la géographie de Macron et celle de Le Pen. Au 2e tour, quand il n’y a plus que deux candidats, c’est normal que l’un ait une géographie inversée entre eux, mais dans le cas de ce premier tour, ils ne font à eux deux que 45% du total. Cette antinomie presque totale est donc remarquable.

Selon vous, est-ce la première fois que ce clivage est aussi clair?

Les autres oppositions ont pu apparaître à différentes élections. Celle entre pratiquement toutes les grandes villes, d’un côté, et le reste, de l’autre, c’est du jamais vu jusqu’à 1992. J’ai écrit un article dans Libération en 1992 intitulé: ‘Un nouvel espace légitime’ et certains m’ont reproché d’exagérer la signification politique de l’enjeu européen. On voyait que chacun des deux votes avaient une géographie originale. C’était d’autant plus original que c’était à une époque où la gauche avait moins d’influence sur les grandes villes. Les zones à forte urbanité ont dans l’ensemble un point de vue favorable à la Construction européenne. Et cela s’est confirmé ce dimanche. Macron a dépassé les 40% dans certains arrondissements de Paris, alors que Marine Le Pen était à moins de 5%. Et inversement, si vous allez dans le périurbain dans l’Oise, vous pouvez avoir Marine Le Pen à 40% et Macron très faible. On retrouve la configuration de 1992, mais à ce moment-là, cela ne portait pas sur une élection généraliste.

Selon vous, les prémices de ce clivage remontent donc au référendum de Maastricht?

C’est l’émergence d’un autre type de clivage, qui a longtemps été gêné dans son expression par la résistance du rapport gauche-droite traditionnel. Aujourd’hui, il peut s’exprimer dans un contexte où il y a épuisement de ce système de camps hétérogènes. Le Front national, et c’est la même chose dans beaucoup de pays en Europe, a progressé grâce au fait qu’il était le seul mouvement à valoriser ce clivage-là. Il n’y avait personne pour leur dire le contraire. Les gens qui étaient face à eux disaient que ce n’était pas important, que le clivage principal c’était gauche-droite. Aujourd’hui, on a un Emmanuel Macron qui affirme que c’est le clivage principal et qu’il y prend position. On constate que, si on enlève Hamon et Fillon, qui sont un peu les représentants de l’ancien système de forces politiques, les autres candidats s’y sont, pour la plupart, référés . Il y avait plusieurs candidats anti-européens: Dupont-Aignan, Asselineau, Cheminade et Mélenchon. Ce phénomène dépasse donc l’opposition Le Pen-Macron.

Ce clivage entre les villes et les périphéries est-il définitivement entériné?

Ce clivage est dynamique, c’est lui qui va faire l’élection. Mais il faut être prudent. L’ancien dispositif a encore des moyens de résister, notamment lors des législatives. Tout le système électoral français a permis de freiner ce mouvement grâce notamment au système de camp majoritaire qui avantageait les regroupements déjà constitués. Ce qui obligeait les clivages alternatifs à présenter des solutions clés en main, déjà toutes prêtes. C’est le cas de François Bayrou aux deux élections précédentes. Il a échoué à chaque fois, parce qu’il n’avait pas tous les atouts nécessaires. Cette fois, on peut dire qu’il y a une configuration assez singulière qui a permis à Emmanuel Macron de s’insérer dans l’offre politique, et finalement d’imposer le couple de contraires qu’il forme avec Marine Le Pen comme étant l’élément structurant. Le fait qu’un Jean-Luc Mélenchon se présente comme rival de Marine Le Pen avec un segment électoral commun (d’autres composantes de son électorat lui sont compatibles), le fait qu’il renvoie dos à dos Le Pen et Macron, c’est aussi significatif du prolongement de cette évolution. L'opposition autrefois principale, c’est-à-dire « gauche-droite » (ou en tout cas ce qu’on appelait ainsi), devient secondaire. Et l'opposition qui était secondaire devient principale.

Antoine Maes